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Il était l’homme le plus connu, le plus célèbre
mais surtout le plus craint de toute la ville de Kénitra. Son casier judiciaire
témoigne même à l’heure qu’il est de ses hauts faits de banditisme, ses voies de
fait dignes de passer pour des cas d’école criminologiques … pourtant, l’homme
ne demandait qu’une seule chose : foutre le camp d’ici, de ce beau pays qui est
le sien et que les siens s’acharnaient à lui rendre proprement invivable. Tous
les matins, notre homme allait prier le saint des saints, le marabout de la
ville, Sidi Larbi Boujemâa, pour qu’il le prenne en pitié et l’assiste de sa
baraka indéfectible, celle-là même qui guérissait les désespérés de la médicine
moderne, qui mariait les filles prolongées, qui maintenait l’équipe locale dans
la première division du championnat national de foot, qui faisait à proprement
parler la pluie et le beau temps dans toute la plaine du Gharb … Mais dès qu’il
s’agissait de notre homme, la baraka du saint s’avérait être impuissante,
inutile, de la cautère sur une jambe de bois qu’un beau jour excédé de devoir
ainsi se lamenter pour des nèfles eut le courage de prendre le saint jusque-là
vénéré pour ce qu’il était : un imposteur qu’il fallait confondre séance
tenante. Notre homme n’avait rien trouvé de mieux pour l’humilier que de lui
pisser sur la tombe. Un geste dont il était allé chercher le courage à la
manière des Hollandais : en buvant un bon coup et sans crier gare. Ce geste
qu’il croyait de l’ordre des sacrilèges s’avéra être payant et notre héros était
devenu trois ans et trois mois plus tard un respectable citoyen … Canadien.