Du Maroc et de la monarchie marocaine expliqués à un ami français
Cher Jepel,
Voilà enfin les quelques mots que je t’ai promis à ce sujet. J’estimais alors qu’il était temps pour moi de me représenter mentalement ce que sont les trois vocables “Dieu/Allah, la Patrie, le Roi”, supposés être notre emblème national. Ils sont plus présents dans notre vie, gravés sur notre monnaie, sur notre armorial ... que ne le sont vos fameux “Liberté,Egalité, Fraternité” , devenus moins visibles sur la place public depuis le passage à l’euro, moins redondants dans votre rhétorique républicaine pour les raisons que nous savons tous : chômage, immigration... Bien sûr que pour toi, Français, notre emblème à nous, encore en vigueur et de plus en plus revigoré, ne pourrait être que survivances d’un temps révolu ou pour ainsi dire “les hiéroglyphes de la féodalité”. Tu peux dire cela mon ami, toi qui as guillotiné les rois, bouffé du curé, monté sur les barricades pour décréter tes propres idéaux vérités universelles, généralisables à l’ensemble des nations... tu peux dire cela mon ami.
Or, nous sommes quelques à prendre ces idéaux avec des pincettes, à considérer qu’ils ne sont pas aussi universels que cela et qu’il y a lieu de les remettre au goût du jour et du lieu. Dans le contexte marocain, le concept “démocratie” n’ayant pas encore tout à fait subi son rodage historique, il nous faudra encore quelques exercices de style à faire honnêtement, des devoirs à accomplir, sans tricherie, sans “carottes”.. pédagogiquement.
Dans cette perspective, notre emblème peut donner lieu à une hygiène de vie du citoyen. Aucune personne, aucun parti n’a, en principe, le droit d’en faire son propre apanage à l’exclusion des autres : Personne n’a le droit de se dire plus musulman, plus monarchiste, plus patriotique que les autres. Cela n’est pas tout le temps évident, il y aura toujours un tribun pour passer outre. Le plus souvent ce sont nos intégristes qui ne se formalisent pas pour s’auto-proclamer porte-paroles attitrés d’Allah, nos progressistes qui font de l’étiquette “nationaliste” leur chasse-gardée, quant à nos pseudo libéraux, il ne sont plus de la fête, depuis que Si Driss (entendez Basri) s’est vu confisquer les clefs du kermesse...
Et le Roi?et ses prérogatives? dans tout cela, me diras-tu. J’y arrive mon ami ...
C’est que, voyez-vous, nous en sommes encore à nous penser en termes d’Amazigh, d’Arabe, de Sahraoui et Dieu sait quoi encore et non pas en citoyens. Personnellement, j’en connais qui iront jusqu’à casser la baraque si le pouvoir viendrait à échoir à une fratrie plutôt qu’à la leur propre. Des gens à l’horizon mental aussi étroit existent au Maroc et ailleurs. Le roi étant un pur produit de l’histoire du Maroc, tour à tour Amazigh, Arabe, Sahraoui ... incarne de ce fait cet “idéal ethnique” et personne ne peut lui contester ce privilège -de taille dans un pays comme le Maroc- sans se voir du coup moquer par les Marocains et surtout par l’histoire.
Plutôt que de fantasmer sur les prérogatives qui sont les siennes, il serait plus judicieux, à mon sens de voir quel usage Il en a fait. Jusqu’ici, ses faits et gestes sont chaleureusement salués du peuple marocain, diversement par certains partis. Pour les premiers, il a su redonner confiance, leur dire que tout n’est pas fini et qu’un Maroc démocratique est plus que jamais possible. La révision du code de la famille, que nous disions voilà peu impossible, en est une belle illustration. Ce n’est qu’un début, le reste viendra ...
Pour certains partis, lésés dans un droit qui leur revenait légitimement, disaient-ils, celui de voir un des leurs nommé par le roi pour la primature. Je crois qu’on peut être premier aux élections, en s’adjudant moins d’un quart des voix de l’ensemble du corps électif. Etre premier cela ne veut pas dire avoir la majorité et c’était le cas. Pour ceux-là, le roi reste, et il est en effet, un acteur politique et comme pour tout acteur politique, l’objectif premier est de garder le pouvoir, s’y maintenir, quitte à jouer au funambule, s’inclinant par moments à droite, à gauche ... pour éviter la chute. J’espère chère ami que tu ne verras pas le moindre soupçon d’ironie dans cette parabole. Quand le fanatisme est poussé jusqu’au don de soi, une pareille chute serait fatale à tout un pays, au mien en l’occurrence.
Au fond la France est restée, par-delà sa constitution et ses cinq républiques successives, une monarchie dans l’esprit. Une monarchie qu’on élit tout les sept ans. Au Maroc la monarchie est une nécessité, en France elle est une coquetterie ... républicaine. N’oublie pas qu’au fort de l’épreuve, en 1908, il y avait encore des Français à distribuer des tracts ouvertement monarchistes en se faisant passer pour les Camelots du Roi. De même que le Marocain que je suis envie à juste titre un Anglais ou un Espagnol, de même un Français, je suppose, doit se sentir frileux à entendre un Suisse lui dire, mine de rien : En Suisse nous somme seulement administrés et non pas gouvernés.