Sommes-nous d'un génie qui se prostitue?
Le génie marocain serait-il ainsi fait qu'il ne peut s'affirmer qu'ailleurs?
Je ne parle pas de l'auto-affirmation à l'extérieur, légitime, qu'ambitionne tout un chacun de se faire un nom sous d'autres cieux, plus propices à son accomplissement. Le fait est assez connu pour être souligné et les prophètes sont les premiers à s'y rendre compte. On sait depuis qu'en veine d'audience le premier reflex, le bon sinon, est de sortir de son entourage immédiat, se faire un pied-à-terre chez les tribus lointaines. On le faisait alors pour le principe, pour la bonne cause ... Après l'exile, disait-on, le bercail. Le plus désespéré d'entre eux s'exila 20 ans après quoi il retourna au pays, triomphant, des révélations et des oracles dans la musette. De cette parabole évangélique, la littérature occidentale a su faire un archétype auquel elle a donné une envergure universelle. Pour cela, elle avait inventé l'imprimerie, fondé des universités, arboré la croix et la bannière... Depuis, toutes les littératures se sont faites à leur fils prodigue. IL est devenu la personnification même de l'enquête du bonheur- généralement impossible- et au prix qu'il faut y mettre : sa vie.
Les pays sous-développés - et le Maroc est du nombre- sont de ce point de vue les mieux indiqués pour filer cette parabole. Les disparités sociales, l'inégalité des chance, le marasme économique, le chômage, la corruption ... sont tels que des pans entiers de leurs sociétés se sont ainsi déplacés vers le nord, le plus souvent au terme d'un long et périlleux voyage. On sait ce qu'il en est dans le cinéma et la littérature mondiale. Des oeuvres ont vite fait de focaliser sur elles l'attention des critiques et du grand public. L'immigration n'y est pas traitée en simple module thématique auquel on seconde le misérabilisme dans un souci mercantile à peine voilé; le phénomène n'y est pas non plus décrit en termes naïfs comme il l'est malheureusement chez nous. Chaque fois qu'un homme estime que "son royaume n'est pas de ce monde", ses compatriotes peuvent s'attendre du coup à un chef d'oeuvre pour autant, devrais-je souligner, que l'homme en question ne soit pas Marocain.
Paradoxalement le Maroc est le pays qui en souffre le plus et qui cependant n'en fait pas état dans sa production symbolique. Ou alors dans l'esprit que nous connaissons tous : creux et simpliste. Quand on pense que tout dans notre pays succombe aux sirènes de l'étranger, de la tomate au diplomate : nos chanteurs, nos poissons, nos grarçons, nos filles, nos footballeurs, nos escargots .... tout y est à l'étroit. Il y a lieu pourtant de s'y mettre, chacun à sa manière. Nos sociologues, les premiers, en enjambant à leur compte la fameuse formule du B.N.P. (bonheur national brut). A cet effet, Leur objectif doit être non pas de braquer leur regard sur le petit peuple en tendant la main à la haute société, selon la métaphore consacrée en la matière, mais de réactiver théoriquement le patrimoine national, aussi maigre soit-il, en se basant sur des investigations faites sur le terrain. Seule condition à mon sens pour une meilleure appréhension du phénomène. Le malaise économique n'expliquant pas à lui seul cet indicible attrait qu'exercent les sociétés étrangères sur nos compatriotes, de quelques catégories sociales dont ils soient issus. Autrement, Le phénomène avec toutes les tragédies qu'il charrie n'ira pas plus loin que ne le permettra une formulation journalistique, livrée au premier degré.
Depuis qu'on avait incarcéré un activiste des droit de l'homme pour avoir dit sur le plateau de la deuxième chaîne marocaine que l'Armée Royale était impliquée dans l'immigration clandestine, La télévision nationale n'y allait plus qu'en demi-ton, se suffisant d'un décompte macabre des corps rejetés par la mer. Pis encore, l'on passe sous silence ce genre d'information tant que le nombre des victimes n'ait pas atteint un certain seuil, un quorum ... le drame s'en trouve de plus en plus banalisé à l'instar des accidents de la route. Des fois, c'est à dire souvent, on fait état d'arrestation massive de candidats à l'immigration clandestine juste au moment où nos voisins du nord incriminent tel ou tel service de notre marine royale pour laxisme ou carrément de collusion. On se presse alors d'indiquer que ces candidats sont à tant pour cent des étrangers, passés en territoire national par nos frontières est ... Dès lors nous en sommes informés non pas pour donner lieu à un vrai débat de société où les responsabilités des uns et des autres sont clairement assignées, mais juste pour brouiller les cartes.
On aura ainsi réussi à noyer le poisson. La vraie question n'en demeure pas moins têtue : Sommes-nous, Marocains, d'un génie qui se prostitue?