Aux chiottes ! Citoyens ...
"Pour rendre sa libération effective, la femme marocaine doit revendiquer l’abolition pure et simple des chiottes turques".
C’est une femme qui parle ainsi et le dit sur le ton qu’ont les esprits animés par une sainte conviction. Elle ne croyait pas si bien dire, elle qui avait quitté l’école à l’âge de 13 ans pour faire sa vie et n’a eu ni de l’éducation, ni de la naissance... deux attributs sans lesquels il est difficile de vivre dans ce pays. Le fait qu’elle ait noyé le vocable “abolir” dans un arabe approximatif me fit un drôle d’effet. "Abolir" étant le terme le plus usité dans la rhétorique revendicative marocaine. Les Marocains qui se sont essayés un moment de leur vie à défendre une quelconque cause, ont eu le loisir de voir, par eux-même, combien ce terme est incontournable. A l'ère de la globalisation et des joint-ventures, nous sommes encore à revendiquer l'abolition de ceci ou de cela ... Le cas échéant, les chiottes turques sont une institution parmi tant d'autres qu'il faut abolir. ABSOLUMENT ! Alors ne nous en privons pas, surtout un 8 mars.
J'irai jusqu'à dire que la déclaration précitée devra être inscrite en lettre d'or comme préambule au nouveau code de la famille. Tous nos maux viennent des chiottes turques : nos piètres performances économiques, le déficit d'image du Maroc à l'étranger, la baisse de nombre de nuitées, les accidents de la route, le fanatisme ambiant, le chômage ... tout vient de là. Puisqu'on ne veut pas nous gratifié d'une constitution laique, à l'image de tous les pays démocratiques où les gens sont tous citoyens et non pas saucissonnés comme chez nous en dieux, demi-dieux et en khorotto (menu fretin)... tenons-nous-en à cette seule revendication. Je ne vous dirais jamais assez que là est notre libération subliminale. On ne peut pas passer d'une monarchie semi-constitutionnelle à une monarchie consitutionnelle sans avoir effectué auparavant le passage des chiottes turques à celles dites anglaises.
Vulgarité ou pas, je ne trouve aucune gêne à abonder dans ce sens. D'abord, ces latrines sont devenues d'authentiques curiosités touristiques auxquelles les Hollandais, peuple artiste s'il en est, témoignent admiration et n'hésitent pas à formuler le désir de voir toutes les "les chiottes turques" du monde installées chez eux. A défaut, ils se mettent à sympathiser avec les Turcs, les Marocains ou alors ils vont tous les ans sillonner les auto-routes françaises juste pour s' offrir de ces "hurktoilet", ainsi qu'ils les nomment dans un souci d'universalité, à chaque aire de repos. De tous les pays d'Occident, La France en est le mieux loti au point d'en faire l'objet de moult installations artistiques, la dernière en date était à Nantes patrie de Germain Boffrand : Après le décor rocaille, celui racaille ... aurait-il dit. L'Occident n' a pu se défaire tout à fait de ses bien-pensants qu'en triturant du fumier, à coup de muckrakers. Marx pour dire toute sa haine au Daily Telegraph ne se formalisait pas. Il n'y allait qu'en termes d'égout, de saletés et autres gracieusetés.
Tout cela pour vous dire que la chose en soi ne me déplaît pas. Seulement voilà : L'usage qui en est fait donne lieu à une conception du monde inacceptable, par trop machiste. Mon amie évoque à ce propos le fait qu"elle ne peut s'y soulager, debout et en restant digne à l'instar de ses compatriotes masculins. Avec votre truc multidirectionnel, me disait-elle, vous pouvez vous autres hommes le faire décemment. Mais moi, à chaque fois, je dois me ravaler, me rabaisser , m'accroupir pour m'y prendre avec ! " Pour la consoler j'ai dû lui avouer que je soupçonne les étrangers qui en font l'expérience pour la première fois d'y aller en deux temps : Une posture pour faire pipi, une autre en se tournant pour ... D'habitude un Anglais ne décoche son stéréotypé "what's a relief" qu'à l'instant même où son besoin est soulagé. Chez nous il n'en décoche qu'après avoir fermée la porte des WC derrière lui ... Du reste, on a qu'à observer la tête qu'ils font quand ils en sortent, se composant un air de condamné à mort gracié in extremis.
Le seul étranger qui m'en a parlé en termes élogieux est un artiste peintre . Il était invité chez un notable de la ville et quand il a eu l'impérilleux besoin d'y aller, il s'est soudainement senti pour ainsi dire bloqué, n'arrivant pas à se faire à l'idée de souiller ce qu'il appela alors un chef-d'oeuvre. Des chiottes turques d'une blancheur d'albâtre, avec les pause-pieds guillochés en dorures. Il haïssait le lustre mais là, l'expression plastique était tellement envahissante qu'il s'en était senti longtemps après comme culpabilisé...
Tout cela est beau mais un citoyen ne se rabaisse jamais. Même pas pour cela.
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